[RP] Heure du dîner

Elle était à bord depuis quelques jours.
Les dernières semaines avaient été pénibles et c'était peu dire. Son mariage annulé moins de vingt quatre heures avant les noces avait mis son père dans une colère noire. Il lui avait imposé un jeune cadre de son entreprise, bel homme certes, mais d'un mortel ennuis et elle n'avait pas eu le courage se dire non... Enfin, pas suffisamment tôt...

Un Bloody Mary. Sans glace s'il vous plait. Sa boisson demandée, elle s'installe seule à une petite table ronde et basse.

Elle observe les couples autour d'elle.
Certains prometteurs d'un avenir radieux, affichent un bonheur sans faille.

Mais qu'est elle venue faire là, seule... au lieu d'affronter la colère paternelle.

Jules bâillait la bouche ouverte comme un four. Minuit était passé, il y avait encore des clients au bar, alors qu'il aurait bien aimé aller se glisser entre ses draps pour y dormir tout son saoul. Mais des clients obstinés en avaient décidé autrement qui, entre deux gorgées d'alcool fort commentaient la guerre de Corée avec des airs savants.
Clients qui s'attardaient, pire, des clients arrivaient encore. Un client en tout et pour tout, et Jules sourit quand il le reconnut. C'était le Colonel à qui Jules avait déjà rendu quelques services. Toujours impeccable, élégant, entouré d'une aura de mystères, cigare aux lèvres, il parla à Jules comme à un ami et le jeune barman était sensible à cet honneur :
Oui, journée à rallonge, concéda-t-il non sans soupirer. Je me porte pas trop mal malgré l'heure avancée ! Et vous mon Colonel ? Allez-vous bien ? Je vous vois peu ces derniers jours.

Le colonel offrit un cigare à Jules qui le fumerait plus tard et remercia chaleureusement son bienfaiteur :
Merci beaucoup, Monsieur ! C'est vraiment gentil à vous.

Il lui apporta son cognac, vieilli dix ans en fût sur les bords de la Charente et Jules resta près de lui et demanda :
Vous êtes satisfait de ce début de croisière ? Ca se passe bien ? ... Je ne parle pas que du service, ajouta-t-il en riant.

Très sympa ce Colonel, pensait Jules, c'est lui le client et il s'excuse presque de me donner du boulot :
Ne vous en faites pas pour moi ! Je suis là jusqu'à deux heures de matin, un soir sur deux ! D'ailleurs j'aime bien cette plage horaire, c'est l'heure où on rencontre des gens vraiment intéressants !

Et c'était vrai ! souvent le soir très tard venait des hommes surtout, qui discutaient longuement de choses graves en buvant des alcools forts et en s'enveloppant de fumée de cigares très odorants. Jules n'arrivait pas à suivre toutes les conversations mais apprenait deux ou trois choses par-ci par là. Il y avait sur le Memphis quelques personnes influentes, des hommes d'affaires, des hommes de l'ombre mais décisionnaires dans un tas de domaines. Très vite il avait su mettre un nom sur certains visages et dirent exactement qui se cachait derrière.
Il apprenait aussi des choses plus intimes, plus privées, comme la femme de ce ministre qu'on avait retrouvée ivre morte dans le lit de son chauffeur, ou que le fils de tel diplomate était accroc à la cocaïne. Toutes ces information, Jules les gardait dans sa tête et n'en parlait à personne.
Il reporta son attention sur Zacharie qui venait de lui parler d'un présent pour lui. Jules pensa aussitôt à un autre cigare :
Encore, dit-il en souriant presque gêné, vous me comblez de trop, mon Colonel !

Il se méfiait et il l'avait appris à l'école de serveur. Quand un client semble vous avoir à la bonne, commence à vous faire des cadeaux, très vite il vous demandera un service que vous serez obligé de rendre. On lui avait appris aussi qu'avec l'expérience il arriverait vite à juger les clients, les sympathiques, les gentils, les profiteurs, les dangereux, les riches, les pauvres, ... et son instinct lui disait qu'il n'avait rien à craindre du Colonel.
Alors, sa curiosité était déjà en éveil, de quel présent pouvait-il bien s'agir ?